Une baisse du prix du Brent de 56 % en 7 mois
Le prix du pétrole a oscillé autour des 100/110 $ depuis 2011, soutenu par un contexte géopolitique tendu (embargo iranien, instabilité en Irak, Syrie, Libye, conflit Russie/Ukraine…). Il a atteint 112 $/b en juin 2014 avant de tomber à 49 $/b en janvier 2015, soit une baisse de 56 % en 7 mois.
Au cours actuel de 50 $ environ (54 $ en février), c’est un montant de 1 600 milliards de dollars, soit 2 % du PIB mondial, qui est en jeu, à l’actif des consommateurs et au contraire au passif des producteurs.
Un excédent d’offre et un changement de politique de l’OPEP
Au-delà d’une croissance économique modérée et de la hausse du taux du dollar depuis juin, la baisse des prix du pétrole est principalement le reflet d’un excédent d’offre et d’un changement de politique de l’OPEP. Le responsable de la situation d’abondance est connu, il s’agit des LTO américains (« Light tight oil »), c'est-à-dire des huiles de schiste dont la progression annuelle n’a cessé de s’accélérer depuis 2010. Celle-ci dépasse désormais le niveau de la croissance de la demande pétrolière mondiale. Il n’y a donc plus de place pour maintenir la part de marché de l’OPEP. Le marché semble de plus ignorer désormais le contexte géopolitique qui avait soutenu les cours ces dernières années.
Le choix de l’Arabie d’une défense de ses parts de marché au détriment du prix
L’OPEP, dans son rapport de 2013, avait bien identifié le risque de perte régulière de parts de marché. Mais il y avait une incertitude sur l’avenir des LTO. Une décroissance était envisagée après 2015/2020, voire bien plus tôt pour ceux qui évoquaient une bulle spéculative appelée à exploser.
La réalité d’une hausse inexorable de la production de LTO a poussé l’Arabie Saoudite, au cours de la réunion ministérielle de l’OPEP du 27 novembre, à faire le choix d’une défense de ses parts de marché au détriment du prix. La montée en puissance de la production de l’Irak ou la levée de l’embargo sur l’Iran faisaient également partie des menaces potentielles. En refusant d’ajuster seule sa production face aux excédents pétroliers prévus en 2015, la monarchie pétrolière met ainsi en place (momentanément ?) un nouvel ordre pétrolier mondial.
A court terme, un prix moyen de 50 $ à 70 $/b pourrait être de nature à rééquilibrer le marché
Face aux excédents prévus cette année, l’essentiel des ajustements baissiers sur l’offre devrait porter sur les LTO (coûts compris entre 40 et 80 $/b) dont le niveau de production par puits décroit très vite dans le temps. Ils nécessitent de ce fait des investissements réguliers et sont donc plus réactifs aux prix. IFPEN estime qu’un prix moyen de 50 $ à 70 $/b pourrait être de nature à rééquilibrer le marché en 2015. Trois facteurs sont susceptibles de peser à la baisse sur le marché cette année : l’incertitude sur la croissance économique des pays émergents, le niveau élevé des stocks et la levée envisageable de l’embargo sur l’Iran.
Le coût maximum des LTO est susceptible de devenir la référence de prix
Au-delà de 2015, et une fois que les excédents seront réduits, l’équilibre du marché dépendra de la capacité OPEP et des LTO à répondre tendanciellement à l’accroissement de la demande. Si tel est le cas, le prix se situera aux coûts maxima permettant de produire les LTO. Il était estimé à 80 $/b, mais des réductions significatives des coûts sont probables comme on a pu l’observer pour le gaz de schiste via des forages plus performants et une hausse de la productivité des puits de production. Ce coût définira le prix d’équilibre du marché qui pourrait se situer entre 50 et 70 $/b.
Ce scénario est susceptible d’être remis en cause à terme dans plusieurs cas : une croissance économique plus soutenue, comme ce fut le cas de 2004 à 2008, un contexte géopolitique plus dégradé pesant potentiellement ou effectivement sur la production et entraînant le retour d’une prime de risque, et enfin par le biais d’un changement de stratégie de l’Arabie Saoudite. Ce n’est que dans ce cadre, peu probable aujourd’hui, qu’un retour du prix vers les coûts marginaux maximum de 90 /100 $ serait envisageable.
Des effets potentiellement déstabilisants
La position nouvelle de l’Arabie Saoudite aura des conséquences industrielles, économiques, voire géopolitiques. D’un point de vue industriel, ce nouveau contexte remet en cause certains projets pétroliers et nécessite un ajustement drastique des investissements, pesant lourdement sur l’ensemble des sociétés de service de ce secteur. On évoque des baisses de 10 % (exemple de Total) à 20 % des investissements cette année (investissement amont de l’ordre de 700 Mrd$). Une maîtrise indispensable des coûts est annoncée qui pourrait avoir des effets durables sur la compétitivité renforcée de l’offre de l’industrie pétrolière.
Les effets seront globalement positifs pour les pays importateurs, que ce soient les pays occidentaux mais aussi l’Inde ou la Chine. Il convient de souligner la situation mixte des pays importateurs/producteurs avec un effet globalement positif, mais potentiellement très négatif, pour leur industrie pétrolière. Aux États-Unis par exemple, un risque bancaire est évoqué en raison de l’endettement des opérateurs pétroliers.
Pour les pays producteurs, les effets seront à l’évidence très négatifs. Ainsi, le passage de 100 $/b à 60 $/b conduit à une baisse des exportations de l’ordre de 280 et 110 Mrd$ respectivement pour le Moyen-Orient et la Russie, soit 10 et 5 % du PIB. Certains pays seront fragilisés, à l’image de l’Irak, l’Iran, la Libye, le Nigeria, le Venezuela, le Brésil ou la Russie…, des effets « collatéraux » inquiétants, susceptibles de renforcer l’instabilité géopolitique. Certains pays producteurs, en particulier les pays du GCC qui ont accumulé des réserves financières importantes, pourraient cependant faire face pendant quelques années à un prix du pétrole réduit.
Un choix durable de l’Arabie Saoudite ?
Il reste à savoir si la nouvelle politique de l’Arabie Saoudite, qui n’est pas pour le moment remise en cause par le nouveau Roi, sera durable. Les enjeux budgétaires et les conséquences géopolitiques pourraient faire bouger les lignes. Le Royaume avait fixé le « juste prix » à 75 $ en 2008 puis à 100 $ en 2012. Le nouveau prix devra à la fois permettre de limiter l’offre des non-OPEP tout en améliorant l’équilibre budgétaire… retour à 75 $/b ?
Les États-Unis en position de « swing producers »
En tout état de cause, le choix actuel de l’Arabie Saoudite conduit à penser que les opérateurs américains joueront désormais le rôle de producteurs marginaux, assurant l’équilibre entre l’offre et la demande. Le coût des LTO représenterait ainsi un « cap » sur le marché, aux primes de risque près… Cela signifie aussi que les LTO ne seraient pas endigués par cette politique et continueraient à peser sur la part de marché de l’OPEP.
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